Tenter de faire sortir la larve de son trou

Ils ont cru s´enivrer des chants de Maldoror. Et maintenant, ils s'écroulent dans leur ombre animale.

Ca faisait trop longtemps. Ayla serrait les dents sur un morceau de cuir en regardant son miroir, tentant d'amener un minimum d'ordre dans sa chevelure sombre. Trop longtemps que le petit était térré comme un rat au sein du QG de la Guilde. Trop longtemps qu'il gâchait ses précieux talents, ses précieuses secondes, car après tout, la vie était fragile comme un chant, pouvait être brisée à tout instant. Et c'était bien cette réalisation qui avait engendré la peur. La peur poussait Feargus craindre le moindre mouvement, à redouter l'extérieur, maintenant qu'il avait vu à quel point il pouvait être cruel. Ayla avait appris a considérer la peur comme saine.

Jusqu'à un certain point. Cela faisait déjà plusieurs mois maintenant. Pour son propre bien, le rouquin ne pouvait pas se permettre de rester ainsi bloqué.
Achevant une poignées de tresses sur son crâne, la quadragénaire rassembla ses affaires -petite sacoche et légère cape pour sortir en ville- avant de se diriger vers la chambre de son protégé. Elle allait perdre patience. Et avant d'en arriver là, elle voulait donner la possibilité au jeune homme de comprendre les choses via la manière douce. Manière douce qui impliquerait certainement de le bousculer un peu. Pour son propre bien.

Ayla poussa la vieille porte en bois qui grinça légèrement. L'endroit était peu éclairé, sentait légèrement le renfermés mais était resté quelque peu entretenu, par elle-même et par Cole. Elle poussa un profond soupir pour signaler sa présence. Puis elle s'avança jusqu'au chevet du gamin, s'asseyant sur un tabouret qu'elle avait elle-même placé là quelques temps auparavant. Elle retira sa cape et posa sa besace avant de dire :

- Bonjour, Fearghas.

Soudain dérangée par l'absence de lumière, elle se leva prestement pour ouvrir les rideaux, qui lui permirent d'entrevoir quelques mèches de la chevelure cuivrée dépassant des couvertures. La voleuse sortit une miche de pain et deux pommes de son sac et les déposa sur la bosse que formait le corps de Feargus.

- Que dirais-tu d'une balade en ville ?

Un sourire se dessina sur son visage, narquois. Agacée par la situation, elle avait décidé de s'en amuser, pour le moment. C'était la seule façon de rendre cela supportable. Elle avait la sensation qu'un travail de plusieurs années avait été détruit à cause de ces foutus drows. Ou est-ce que cela avait simplement réveillé quelque chose de latent chez son protégé ? Elle plongea les ongles de sa main droite dans sa paume. Elle avait toujours su qu'il y aurait plus à creuser avec lui. Parfois, elle doutait d'être à la hauteur du soutien dont il pourrait avoir besoin. Quoi qu'il en soit, elle ne pouvait qu'avancer sur ce chemin incertain avec lui, pas faire la route à sa place. Alors, s'il fallait lui mettre quelques coups de pieds au derrière pour assurer sa survie à long terme, elle le ferait. Elle avait trop d'affection pour Feargus pour se permettre de le laisser s'enfoncer comme ça. Le trauma, elle comprenait, elle avait vécu. Mais elle ne pouvait pas admettre qu'il ne se batte pas contre ses démons.

Fearghas n’avait, pour ainsi dire, pas bougé depuis des semaines. Enfoui dans la chaleur réconfortante de ses couvertures, il se protégeait du monde extérieur en prétendant qu’il n’existait pas, ses seuls contacts avec procurés par la présence d’Ayla et Cole. C’était suffisant, mais pas assez pour chasser le souvenir de ces deux pupilles écarlates qui le fixaient dans l’obscurité de la taverne damnée. A ne répondre que par de vagues grognements difficiles à identifier comme de véritables mots, ne glissant ses yeux hors de sa cachette de fortune que pour les garder fixés sur le crouth posé sur la petite table de chevet.

C’était plus qu’inhabituel pour lui. Ce calme, ce silence. Cette rencontre avait réveillé autant de démons qu’elle n’en avait créé de nouveaux, et ce n’était pas franchement pour ses capacités d’affrontement que le jeune homme était connu. L’évitement lui correspondrait plus. Mais pas cette fois. Cette fois, le souvenir était trop vif, bien trop tenace pour qu’il soit capable de l’enfouir et l’enfermer dans une boite à laquelle il interdirait l’accès à sa mémoire.
D’autres souvenirs en avaient profité pour s’enfuir et ressurgir, quoiqu’heureusement toujours flous -sa mère, le bordel, une ombre menaçante…

L’irruption d’Ayla dans son antre fut une distraction bienvenue, accueillie par un très éloquent grognement… Aussitôt suivit par son petit frère, tout aussi éloquent, lorsqu’elle décida ouvrir les rideaux, provoquant au passage une retraite de Fearghas plus profondément dans sa tanière.
Qu’elle préfère le veiller silencieusement ou lui raconter les dernières frasques de la Guilde, le jeune homme chérissait sa présence qui suffisait à l’apaiser quelque peu. Cette agression lumineuse en revanche ? Pas franchement.

Et sa proposition le tétanisa un peu plus, figé sous la couverture qu’il maintenait fermement de ses poings fermés.

Il fallait bien que ça arrive à un moment. Il ne pourrait pas rester ainsi éternellement, au fond de lui il s’en doutait un peu et, s’il s’autorisait à y penser, pourrait même être surpris que ce ne soit pas arrivé avant. Mais il n’était pas prêt. Sortir c’était être en danger. C’était subir le poids des regards qui, bien sûr, sauraient. C’était se risquer à… A recroiser ces choses. A le recroiser.
Il se serait bien caché un peu plus s’il l’avait pu.

« Trop de monde… » Se contenta-t-il finalement de murmurer, vaine excuse, osant finalement braver le monde en faisant dépasser ses yeux de la couverture afin de se risquer à observer sa mentore.


[[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien], encore désolé pour le temps.]

Tu fais toujours semblant de rien, tu craques ta mélanco

Elle n'était pas là pour faire plaisir au rouquin. Elle était là pour le faire avancer. Ayla soupira dès l'inconfort montré par son petit protégé à l'ouverture des rideaux. Elle était convaincue qu'ils étaient comme des plantes, ils ne pouvaient pas rester enfermés. Même eux, les voleurs qui gagnaient leur vie à la faveur des ombres et de l'obscurité.

Elle allait avoir du mal à rester patiente longtemps. La recruteuse avait trop attendu. Elle ne voyait que ses yeux et il gêgnait tel un petit enfant. Second soupir. La quadragénaire croisa les bras sur sa poitrine et, campée sur ses jambes, regarda de haut le jeune homme.

- Tu comptes rester encore combien de temps enfermé ?

Machinalement, elle alla tapoter les coussins et autres objets entassés dans la pièce qui commençaient à prendre la poussière, grimaçant à l'odeur de renfermé qui commençait à s'installer.
Il ne fallait vraiment pas qu'il reste trop longtemps dans cet état. Elle ne supportait pas l'idée de voir la santé mentale et physique de Fearghas se déteriorer. Rien que l'imaginer lui donnait des angoisses. Relents pestilentiels du rôle de grande soeur, mort des années plus tôt.

Sa question était évidemment une provocation, histoire de voir s'il pousserait l'enfantillage jusqu'à lui dire qu'il ne sortirai plus jamais, ou s'il essaierait de faire une pirouette en disant qu'il se laissait encore un mois, deux mois, trois mois... Est-ce qu'il éviterait totalement la question ?

Trop de gens. Trop de gens, trop de gens, certes. D'accord. Sa dernière expérience mêlé à une foule n'avait pas été glorieuse, mais aussi misanthrope que puisse être Ayla par moments, force était de reconnaitre que les gens étaient quasi indispensables à la vie, surtout en ville. Elle doutait que Fear soit capable de se retirer seul dans une cabane dans les bois. Personne à baratiner, personne à qui faire écouter sa musique... Bref, elle ne le voyait pas reclu à vie. Il fallait qu'il se soigne, il fallait qu'il récolte les bienfaits de la lumière et qu'il entre en confrontation.

- Il y aura toujours du monde, Fear. Tu sais bien qu'on ne peut pas faire sans.

Elle avait parlé d'une voix assez calme et douce. Elle tira légèrement sur la couverture et ajouta :

- Montre-moi au moins ton visage, s'il te plait.

Politesse élémentaire. Et cela lui ferait du bien d'avoir un contact social visuel avec une personne de confiance. Au moins, il pouvait être sûr qu'elle ne lui sauterait pas au visage pour l'agresser. Ayla prit un tabouret qui traînait par là et s'assit en face du lit. Elle posa une main empreinte de compassion mais également de fermeté sur ce qu'elle supposait être son bras, sous la couverture et continua :

- J'aimerais que tu profites un peu de la lumière. Je serai là pour te protéger tout le temps. Nous pouvons aussi aller dans un quartier calme.

Puis elle se tut. Elle voulait d'abord analyser les réactions de son protéger, pour éventuellement adapter ses propositions et son discours par la suite. Peut-être allait-il l'énerver, l'amadouer. Elle voulait voir quelles cartes il allait lui donner.