Drôle d'oiseau que cette fille là. Pas le genre à se laisser appeler "ma jolie" ou à s'encombrer de quantités superflues de tissus. Pas très bavarde non plus. Faut dire que pour bavarder, faudrait déjà qu'elle ait quelqu'un avec qui parler. C'est à croire qu'elle juge sa seule compagnie suffisante la bougresse. Du moins, c'est ce que je penserais si je ne commençais pas à la connaître un peu. Je crois que dans le fond, elle a surtout peur de s'attacher à quelqu'un pour le perdre ensuite. On l'aperçoit souvent dans un coin, discrète et silencieuse, ombre parmi les ombres. Son regard froid croise le notre puis, le temps d'un battement de cil, elle s'est volatiliser, comme si elle n'avait été qu'un mirage, une création de notre esprit. C'est plutôt agaçant au début, surtout qu'elle est pas désagréable à regarder, mais, à la fin, on a juste de la peine pour elle, toujours seule. Moi j'dis qu'un gars pour réchauffer ses nuits lui ferait pas de mal, j'en connais plusieurs qui se porteraient sans aucun doute volontaires à la tâche si nécessaire. Mais ce que j'en dis, ça n'a pas vraiment d'importance, comme elle le dit elle-même quand on lui fait une remarque, elle n'est pas là pour plaire mais pour voler, et pour voler Ô ça elle vole, elle vole même bien la garce. Alors on se contente d'empocher notre part et de la laisser tranquille.

Des flammes, de la fumée, les yeux qui brûlent, les oreilles qui bourdonnent, la gorge sèche et irritée. Voilà le plus lointain souvenir de Faelynor, alors fillette désorientée émergeant de cet épais nuage noir provoqué par l'incendie. Autour d'elle, des cris, des pleures, des ombres dansent, courent, luttent pour leur survie. Le monde n'est plus que cela : des ombres tournoyantes, avant que tout ne devienne pénombre. D'avant ce jour, elle ne garde rien en mémoire, tout juste l'ombre rassurante de ses parents qui eux ne réchappèrent pas de ce massacre. L'enfant qu'elle est vient de perdre sa famille, ses amis et tout ce qui pouvait composer son monde paisible et pacifique.
Quand elle rouvrit les yeux, tout n'était plus que silence et des cendres voletaient dans le ciel comme si elles étaient des flocons de neige, recouvrant les environs d'un manteau gris et terne. En regardant autour d'elle, elle ne voit que des corps immobiles, couverts de sang. Tâtonnant à la recherche d'un repère, elle trébuche sur un cadavre, mais tout ceci est trop irréel pour une enfant, surtout pour une enfant préservée de toute la cruauté du monde jusqu'à ce jour fatidique.
Soudain, perçant le silence, une voix s'éleva derrière elle, l'appelant par son nom, attirant son attention vers un petit groupe d'individus dans un état aussi pittoresque que le sien. C'est un adulte, elle le connait, son coeur le sait bien qu'elle ne parvienne pas à se rappeler qui il est. Tremblante, elle se précipita vers lui, se réfugiant dans ses bras pour y chercher du réconfort.

Peu nombreux furent les survivants du village d'Ilo Allanar ce jour là. Des survivants hagards qui prirent soin de leurs morts, dans la crainte et le chagrin, avant de quitter les restes fumant de ce qui avait été leur foyer. Faelynor se souvient de la fatigue, de ses pieds endoloris par la marche interminable, des chants funèbres guidant leurs pas et des paysages sans saveurs qu'elle avait pu observer depuis les épaules de Roden. Puis, un jour, l'imposante silhouette d'Eaglesham s'était dressée devant eux. Une partie du groupe avait continué sa route, mais certains avaient besoin de soins, d'autres étaient tout simplement trop épuisés pour continuer. Roden ne faisait parti ni des blessés ni de ceux qui manquaient de courage, mais il voyait bien qu'il n'en était pas de même pour sa protégée.

L'accueil qui fut fait en ville aux quelques rescapés qu'ils étaient fut empli d'indifférence et ceux qu'ils comptaient de blessés parmi eux y moururent dans les jours qui suivirent. Ne resta bientôt que Roden et Faelynor ou du moins, c'est le souvenir qu'en garde l'enfant d'alors mais il est plus probable que l'elfe ait pensé qu'ils avaient plus de chance si ils se séparaient du groupe. Il prit d'ailleurs plusieurs décisions pour assurer leur survie à tous deux, comme celle, douloureuse, de couper la pointe de leurs oreilles qui, vendues comme de vulgaires porte-bonheurs, leur rapporta de quoi vivre dans une auberge minable quelques temps. Une auberge où Roden sombra dans l'alcool. Sa protégée, elle, n'aimait pas les adultes trop bruyants et trop chahuteurs des lieux et profitait qu'il soit ivre pour se glisser dans la rue.

Elle s'y fit des amis, des petits voleurs sans envergures qui remplissaient leur panse à l'habilité de leurs doigts agiles, un jeu auquel elle prit part assez rapidement et finalement, un jour, elle ne retourna pas à l'auberge. Elle ignore ce qu'il est advenu de son "oncle Roden" et en vérité, elle ne se pose pas vraiment la question. A mesure qu'elle grandissait, leur petit groupe réduisait, certains avaient réussi à trouver un boulot honorable, d'autres, moins chanceux, étaient morts ou avaient perdu une main pour s'être fait prendre, réduits à la mendicité. Finalement, ils ne furent plus que trois, trois petits voleurs vivant au jour le jour, ne voyant pas plus loin que demain, pas plus haut que trois pommes, ce qui leur suffisait comme repas.

Cela aurait pu continuer, toute la vie et même au delà comme ils se le promettaient depuis l'enfance. Mais les ambitions de l'un manqua leur coûter à tous trois la vie. Sauvant sa peau de justesse, Faelynor savait ce qu'il était advenu de ses amis bien avant de voir leur cadavre se balancer dans le vide à l'entrée de la ville. Elle aurait dû alors se retrouver seule mais, bien que leur dernier coup fut un échec, il avait attiré sur elle le regard de la guilde des voleurs qu'elle fut invitée à rejoindre après une période d'essai où elle découvrit que l'on pouvait voler bien plus que nourriture et argent.

Dire qu'elle trouva au sein de cette guilde une famille serait sans doute exagéré, mais au moins est-elle à l'abri en un lieu où on ne la questionne pas sur les étranges cicatrices courant le long de ses oreilles.